Michel de Bom :
Nous tenions, Frank et moi, à faire d'Eléonore un personnage ambigu et même parfois incompréhensible. Histoire de montrer que rien n'était - et n'est toujours pas - noir ou blanc à l'époque de l'Afrique coloniale.
Il est extrêmement difficile d'avoir un jugement objectif sur cette époque et sur les blancs qui partaient là-bas . La société a changé, ses valeurs et sa vision des peuples "non-civilisés" aussi. Juger d'après nos critères actuels relève de la malhonnêteté intellectuelle, et certains ne s'en privent pas.
A sa manière, celle de son époque, Eléonore est tombée amoureuse de l'Afrique. Femme énergique et cultivée (elle est l'amie de Karen Blixen), elle n'en possède pas moins des boys et il ne m'étonnerait pas qu'elle les traitait justement mais aussi très fermement. Son mari, falot ou absent (elle le dit elle-même : " je dois toujours tout faire toute seule , ici ! ") ne compte pas beaucoup dans cette histoire et peut-être même dans sa vie. Elle peut être égoïste, révoltante, mais c'est la même femme qui seule, a senti et accentué l'amour du jeune Broussaille pour les animaux.
Eléonore aime aussi les animaux, même si elle en tue. Tout le monde le faisait à l'époque. Malgré les pressions sociales inhérentes à son époque, Eléonore n'en est pas moins anticonformiste. On la devine féministe avant l'heure et on fait plus que deviner son amour pour les hommes, au sens le plus physique du terme, à travers l'évocation de son boy Josué ! Au moment où Broussaille la revoit , c'est une très vielle femme à la mémoire défaillante ou... sélective !